Les films coupés en deux

du 24 au 26 janvier 2013
EDITO de Jean-Marc Lalanne

Qu’est ce qu’un grand film contemporain ? Pas seulement un très beau film, mais aussi une oeuvre qui cartographie un état cinéma. Pas seulement un film singulier, solitaire, mais une oeuvre qui dialogue avec celles de son époque, s’inscrit dans un paysage, dont elle modifie légèrement l’appréhension.
Tabou de Miguel Gomes est assurément un très beau film, un des plus beaux que l’actualité du cinéma nous ait donné à voir ces dernières années. Mais c’est surtout la forme la plus contemporaine que peut prendre aujourd’hui un grand film. Tabou entre à la table de jeu de David Lynch et Apichatpong Weerasethakul pour disputer le même poker formel, non sans précédemment en avoir puissamment rebattu les cartes.

Ce jeu, ouvert à tous les possibles, ne connait qu’un protocole fixe : couper en deux – comme on le fait d’un jeu de cartes avant des les distribuer aux joueurs. Mulholland drive, Tropical Malady, Tabou : trois films, depuis l’entrée dans le nouveau millénaire, nous ont semblé sismographier plus précisément que tous les autres les pulsations de l’époque.

Et chacun d’eux comporte cette troublante particularité : arrivé à leur mitan (un peu après pour le premier, un peu avant pour le dernier), ils s’interrompent brusquement, puis repartent, mais en ayant reconfiguré leurs paramètres.

Revoir ces trois films coupés en deux – auquel on peut adjoindre un quatrième, pas moins conceptuel malgré son alacrité de farce avec grosses voitures et surdouées du lapdance (Boulevard de la mort) – permet d’envisager toutes les puissances de cette forme où un récit se ré-enroule. Parfois pour opérer son propre commentaire, sa propre déconstruction. Parfois au contraire pour se réenchanter, se propulser à un régime supérieur de fiction (fable, conte, mythe).

Cette forme a bien sûr une histoire. Une histoire double même, si on considère son occurrence dans Tabou. L’histoire universelle du cinéma, avec Vertigo et Psycho d’Hitchcock comme figures matricielles des récits avec césure. Et puis l’histoire particulière du cinéma de Miguel Gomes, dont les deux films, La gueule que tu mérites et Ce cher mois d’aout, calaient déjà en leur milieu avant de repartir entièrement transformés.

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